mercredi 1 décembre 2010

Une réforme de l'aide au logement

Une vue neuve sur la question de l'aide à la personne et celle à la pierre.
Économie 30/11/2010 à 00h00

La réforme nécessaire de l’aide au logement

Par ROMAIN RANCIÈRE chercheur à l’Ecole des Ponts-et-Chaussées et professeur associé à l’Ecole d’économie de Paris.
Le paradoxe est qu’alors que la puissance publique consacre des sommes gigantesques au financement des aides personnelles au logement - 14,7 milliards d’euros en 2008, soit 6% des recettes fiscales nettes de l’Etat -, l’accès au logement, en particulier dans les grandes villes, ne cesse de se dégrader. Ceux qui, parmi les classes populaires, n’ont pas accès au parc social, connaissent la précarité des mal-logés. Les classes moyennes sont chassées des centres-villes. Une fraction croissante des étudiants vit dans la pauvreté. Et partout, la ségrégation sociale et l’exclusion urbaine progressent.
Pour comprendre ce paradoxe, il est bon de revenir à un raisonnement économique élémentaire. Dans une ville comme Paris, l’offre de logements locatifs est rigide et quasi insensible aux variations du prix des loyers. Dans une situation extrême d’offre complètement rigide, le seul effet des aides aux logements est d’accroître le prix des loyers et les profits de propriétaire sans aucun bénéfice pour le pouvoir d’achat des locataires. Dans ce cas, les subventions publiques sont versées en pure perte.
Alors même que l’insuffisance de l’offre est la cause majeure de la crise du logement, les financements publics sont complètement déséquilibrés au bénéfice des aides personnelles au logement. La subvention publique à la construction de logements HLM n’est que de 500 millions d’euros, soit seulement 3,6 % du financement des aides personnelles au logement. L’efficacité de l’action publique imposerait de rediriger les financements en faveur de l’accroissement du parc social, soit par la construction, soit par l’achat de logements et leur conversion en logements sociaux. La combinaison de l’accroissement de l’offre et de la réduction de l’effet de subvention au prix des loyers du système actuel devrait entraîner une baisse des loyers du parc privé et une réduction de la ségrégation urbaine.
Pourquoi une telle inflexion de la politique du logement n’est-elle pas davantage débattue ? La lecture des rapports successifs de la Cour des comptes sur les aides au logement permet d’en comprendre une partie des raisons. Dans ses rapports, la Cour est très préoccupée de savoir si les aides sont bien allouées en priorité à ceux qui en ont le plus besoin, par exemple aux étudiants boursiers. En revanche, l’effet des aides sur le prix des loyers n’est jamais discuté comme si la fluctuation des prix était insensible aux aides publiques. Quand 20 % de la population française bénéficient des aides personnelles au logement et que les rigidités d’offres dans les grandes villes sont patentes, l’hypothèse d’absence d’effet sur les prix des loyers semble difficile à justifier. Un calcul économétrique simple de la sensibilité de l’offre et de la demande de logement au prix des loyers suffirait sans doute à l’infirmer. Et même sans économétrie, une simple enquête permettrait de se convaincre que les propriétaires répercutent bien l’aide personnelle au logement quand ils fixent loyers.
A Paris, l’insuffisance de l’offre est également liée à l’existence d’un stock important de logements vides. Les outils de taxations disponibles sont bien trop timorés pour attaquer ce problème. La taxe sur les logements vacants est fixée plus ou moins au niveau de la taxe d’habitation si bien que l’effet dissuasif est quasiment nul. Pour un particulier qui accepte le coût d’opportunité d’avoir un logement vide pendant toute ou presque toute l’année, le coût de la taxe sur les logements vacants est simplement négligeable.
Pour avoir un effet véritablement dissuasif, deux mesures seraient nécessaires. La première serait de taxer les détenteurs de logement vacant sur la base de la valeur locative théorique de leur logement. Un propriétaire d’un appartement vide de 80m2 à Paris, louable pour 2 500 euros, serait taxé sur une base de revenus annuels de 30 000 euros. La deuxième serait l’instauration d’un taux de plus-value nettement plus élevé lors de la revente d’appartements vacants.
La crise du logement en France n’est pas une fatalité. La politique actuelle tout entière tournée vers le soutien de la demande, alors que le véritable problème se situe du côté de l’offre, est largement inefficace. Son effet principal est de supporter les hausses de loyers et d’enrichir les propriétaires. En revanche, la redirection des mêmes moyens budgétaires en faveur de l’extension du parc social et l’introduction d’outils fiscaux véritablement incitatifs pour réduire le nombre de logements vacants sont en mesure de régler une bonne partie de la crise du logement.