lundi 1 octobre 2012

Silhouettes urbaines (de Strasbourg)


Petite note destinée à être versée comme participation personnelle à la réflexion collective et publique intitulée "Silhouettes urbaines" de la ville de Strasbourg.



Quelle est l'intention de la collectivité en lançant la question ?



Ouvrir la boite de pandore de la discussion sur la nature de la ville, car c'est bien de cela dont on parle, dénote, en politique, soit d'une naïveté coupable soit d'une recherche de fond. Evidement on sait que c'est bien de la seconde option qu'il s'agit.

La question de l'urbain est au centre de celle du "vivre ensemble" donc de la forme sociale. Le moteur de la ville : "Stadtluft macht frei" (Max Weber) a durablement été celui du gain à vivre ensemble. La sécurité, la proximité, la fabrication d'intelligences collectives ont été le propre de la ville tout comme l'accumulation de la richesse, le déploiement de l'autorité et la normalisation sociale. est ce encore le cas ?
Cette question est fondamentale pour qui veut réfléchir l'avenir de la société. Si l'on sait que la civilisation en cours est, et sera durablement, urbaine, la nature de son fonctionnement reste ouverte. Elle pourrait alors être carcérale, hyper-libérale, peut être libertaire et autogérée, ou encore différente mais en tous cas jamais identique à ce que nous connaissons. Faisons donc attention à ne pas projeter la part de nostalgie qui habite nos aspirations.

Pour une ville, pour ses élus, il est important de savoir de quoi, collectivement, les habitants rêvent, ce qu'ils souhaitent, ou projettent. Tout cela peut déboucher sur une modification de la communication et du "looking" des opérations mais aussi sur l'évaluation des sujets propres à expérimentation. A Strasbourg, l'affaire n'est ni mince ni gagnée. Très conservateur, l'esprit du lieu est également parfaitement pragmatique. Même si dans l'esprit jacobin la population attend tout de la collectivité mais s'organise aussi localement et se prend en charge dans des organisations certes pas totalement spontanées mais efficientes. Les puissantes associations de cyclistes, le mouvement de fleurissement spontané des espaces viaires, la montée de l'autopromotion, malgré les freins puissants, témoignent de cette capacité à faire.
La question a laquelle il faut répondre n'est surtout pas le catalogue de bonnes idées qu'il faudra décliner à chaque occasion pour "faire bien". Mais, au contraire, les pistes parmi lesquelles il faut expérimenter, évaluer, transiger, débattre : bref là où il faut prendre des risques et bousculer les précautions. Bien sur ce dispositif n'est viable que tant que la piste d'expérimentation n'est pas généralisée en recettes puis en norme (une maladie si française).

Sur quoi expérimenter :
§  Densité, mixité à l'ilot, micro-mobilité : c'est en cours sur Danube, continuons mais évaluons aussi dès que possible
§  Habitats participatifs et coopération des habitants : là aussi c'est parti
§  Augmentation de la mixité sociale et production raisonnable de locatifs sociaux : pareil, c'est dans l'impressionnant processus d'acélération en cours, d'ici 3 à 4 ans nous pourrons évaluer, en attendant maintenons le cap
§  Trame verte et bleue urbaine : il y des acquis mais il reste à la déployer en participations locales et en autogestion productive (agriculture urbaine, co gestion d'espaces verts collectifs) micro-verdissement. Il faut ouvrir des pistes sur la place des faunes urbaines (animales) pour l'usage (cheval) ou pour l'agrément
§  Commercialités différentes (lieu d'échanges, commerces de proximité abordables etc..) pour anticiper la disparition, ou l'accélérer, des casernes marchandes de la périphérie. Vrai sujet, très rude, nécessitant l'adhésion de la population pour changer le jeu commercial mais prometteur en aménités comme en citoyennetés
§  Modalités d'intégration, meilleure, des étudiants (si nombreux) dans la vie économique, culturelle de la ville. La question de leurs logements et des acteurs de leur accueil, pour l'instant essentiellement bureaucratique ou hyper libéral insuffisamment traité.
§  La reconquête des habitats en déshérence : plus de 10 000 logements vacants à Strasbourg, c'est un gâchis monstre et une perte densité sociale nuisible à la vie et à l'animation. Le sujet est difficile mais incontournable
§  La juxtaposition des fonctions urbaines (la vraie solution au zoning) n'est pas résolue. Il est, par exemple, quasiment impossible de superposer commerces, bureaux et logements, et pourtant ….. La zone du Wacken a été reportée, sera t'elle plus mixte fonctionnellement ?
§  La réversibilité des espaces urbains de services, par exemple la conversion d'un parking auto en marché le samedi, l'utilisation des locaux scolaires pendant les vacances, la valorisation temporaire des friches etc…
§  …….
Expérimentons sagement, c'est à dire avec audace, et détermination en sachant que nous pouvons nous tromper mais que si nous n'essayons pas nous ne le saurons jamais.



Silhouette



Le nom choisi pour l'atelier n'est pas anodin. Au delà des barbarismes administratifs habituels il évoque des choses fortes :
§  Le skyline tellement spécifique à Strasbourg : la cathédrale qui fait pivot, mais ses 142m sont toujours les mêmes alors que le périmètre a décuplé. Faut il conserver un symbole religieux, certes superbe, pour une ville laïque et républicaine (débat ?) Si c'est pour faire une tour Orange, Bouygues ou Ibm ce n'est pas la peine ……. Est ce vraiment l'enjeu ?
§  La silhouette et le point haut soulignent le centre de la ville médiévale. Mais est vraiment logique ? N'allons nous pas vers Strasbourg sur le Rhin ? La limite n'est elle pas redevenue le lieu d'articulation ? Dans ce cas il faut une ponctuation propre à la rive. Ponctuation publique sans aucun doute et marquée par un usage représentatif de l'ambition et des valeurs partagées : pas un bureau de poste mais un opéra ou un centre Pompidou, ou une université (on l'a) ou le parlement européen (c'est fait)
§  La silhouette c'est aussi celle de la ville quotidienne. Strasbourg est marquée par la structure médiévale et la ville allemande, et pourtant nous produisons soit des objets généralement dissociés et plus bas (la Robertsau en regorge), donc de moindre intensité urbaine, soit des clones Haussmanniens sans les matériaux, ni la règle ni la cohérence (le Brutehof). Une nouvelle tentative articulée autour de l'hyperproximité est tentée à Danube, sommes nous prêts à la décliner, à tenter d'autres pistes ? Autour de quelles valeurs urbaines allons nous construire les futurs projets vers le Rhin ?
§  La silhouette de la ville concerne également au delà du strict centre. La ville c'est l'agglomération, même si administrativement on en est pas encore là. Pour l'instant les centres anciens des communes de l'ancienne périphérie jouent le rôle de centralités secondaires mais cela sera t'il suffisant ? Sur Schilig et Biescheim c'est clair comme à Illkirch mais quid de l'ouest de l'autoroute ? où sont les pôles secondaires ?
§  Et enfin, si la forme urbaine du faubourg est très attachante, ne sommes nous pas en train de transformer en banlieue tous ces interstices qui faisaient séparations ? Les transformer en non lieux, c'est à dire sans lien entre eux, sans caractère : une sorte d'immense soupe qui s'étale. Si précédemment la structure de la ville était imposée par les obligations militaires et le contexte physique, métamorphosée par la destruction violente (bombardements, incendie etc.) désormais quel est le moteur qui transforme la ville ? D'évidence le profit immobilier a pris le pas sur la logique marchande, celle ci étant désormais en périphérie et sur le net. La spéculation foncière est bien plus fructueuse que le remodelage urbain, la restructuration, réhabilitation des immeubles et des lieux en mutations. Et pourtant, le développement durable comme l'efficacité économique attendent d'autres voies.



Les questions issues du consensus et la gestion des complexités urbaines



Un nombre certains de points de consensus vont se dégager des débats (d'après les comptes rendus, c'est déjà le cas). C'est un acquis important et un vigoureux encouragement pour les élus à précéder ou suivre ces pistes. Cependant, suivant Esope, il convient de prévoir les pondérations et les conditions de la vertu des ces principes. Ainsi, si l'industrialisation du bâtiment a été une excellente avancée, la fabrication de trop peu de modèles en a fait une catastrophe, de même l'automobile a été un instrument de libéralisation et de démocratisation du transport mais désormais non seulement contribue à menacer la planète mais aussi tue nos villes. La création du supermarché a débouché sur l'hyper etc… Les quartiers dits "éco" auront, pour certains d'entre eux, le même avenir que les ZUP.
Tentons, non pas d'être prophète, mais de prévoir les éléments d'équilibre pour la mise en place des pistes de progrès. Cherchons :
§  Les conditions de la bonne densification
§  Les modalités de l'évolution urbaine en matière de transport des personnes
§  Les limites de la participation des habitants
§  Les niveaux de la mixité sociale dans la ville et ses modalités de mise en place
§  L'équilibre entre la "finitude" de nos espaces publics et leur adaptabilité à des usages encore in-inventés.
§  Les conditions de coexistence entre piétons et cyclistes, entre résidents et transitaires dans les ilots, dans les quartiers, au centre ville
§  Le meilleur équilibre entre l'intervention publique, les initiatives citoyennes et le marché dans la gestion des espaces publics, dans l'investissement immobilier, dans la propriété foncière.
Il ne s'agit pas de faire la révolution mais de préparer la mutation que la ville, et les habitants, sont prêts à assumer. Les théoriciens n'ont jamais autant écrit sur ces choses, depuis toutes les disciplines (sociologie, économie, architecture, géographie, philosophie, ingénierie) et depuis toutes les positions doctrinaires ou techniques. Ces éléments sont intéressants à détailler et à confronter, voire indispensables à connaître, mais totalement insuffisants, éventuellement dangereux, à utiliser sans débat et sans contre pouvoir. Les écrits du Corbusier ainsi, mal lus et mal interprétés, ont fait support à l'urbanisme d'"open-planing" que nous payons durement depuis 4 décennies.


A suivre …

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